Revue de Presse – Deni de démocratie par l’Humanité

ÉTAT D’URGENCE

Gouvernement et majorité torpillent les garde-fous

L’exécutif veut imposer l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février et éviter un vote du Parlement en cas de prolongation du confinement. Un énième passage en force qui aggrave la crise démocratique.

Le Parlement serait-il entré dans la liste des « commerces non essentiels » ? Si la question se veut volontiers provocatrice, elle se pose avec acuité tant le gouvernement – et la majorité LAREM – semble s’échiner à écarter méthodiquement tous les garde-fous démocratiques aux dispositifs d’exception qu’il enclenche depuis le début de la crise sanitaire. En l’occurrence, ceux adoptés par les sénateurs, qui ont validé le projet de loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire en limitant sa portée, afin de renforcer le  contrôle du pouvoir législatif sur les mesures du texte. Or l’échec, le 30 octobre, de la commission mixte paritaire (CMP) implique que les députés, qui examineront à nouveau le texte en dernière lecture ce mardi, pourront revenir à sa version
initiale, sans tenir compte des modifications apportées par la Chambre haute, où LR détient la majorité.

« Ne pas donner un blanc-seing »

Depuis lors, les sénateurs s’insurgent contre la volonté du gouvernement « d’avoir des pouvoirs spéciaux pendant six mois, sans passer devant le Parlement ». « Il (y) passait tous les deux mois pendant la première période (de l’état d’urgence sanitaire NDLR) ! » s’est exclamé Philippe Bas, sénateur LR de la Manche et rapporteur du texte auprès de la Chambre haute. Selon la sénatrice communiste de la Loire Cécile Cukierman, « la CMP a échoué dès le début sur la durée de prolongation ». Le gouvernement veut fixer la date au 16 février, tandis que les sénateurs l’avaient ramenée au 31 janvier. Et ces derniers avaient également exigé
que le gouvernement repasse par un vote du Parlement en cas de confinement prolongé au-delà du 8 décembre. Là encore, refus de l’exécutif et de sa majorité.« Le Parlement est là pour voter les lois. Nous voulons que ce pouvoir-là soit exercé »,a réagi  François-Noël Buffet, sénateur LR du Rhône et président de la commission des Lois du Sénat. Une inquiétude que partage sa collègue Cécile Cukierman. « On pourrait très bien voter pour une durée limitée et revoter dans un ou deux mois. Protéger et
sécuriser les Français, bien sûr, mais pas en mettant à mal la démocratie »,alerte-t-elle. Dans les discussions, le gouvernement n’a qu’un argument : ne pas voter tel quels les textes qu’il présente revient à se prononcer contre la protection des citoyens en ces temps de grave crise sanitaire. « On sent la volonté de nombreux élus de ne pas donner un blanc-seing au gouvernement
»,témoigne Cécile Cukierman. Car le procédé est immuable : Emmanuel Macron décide seul, dans le huis clos d’un conseil de défense, charge ensuite au Parlement de voter en urgence des textes pourtant largement attentatoires aux libertés, sans en toucher une ligne. Et vite. Ce, avec la complicité d’une majorité LaREM aux ordres, qui devrait avoir le dernier mot après le nouveau passage du texte au Sénat, le 5 novembre. Pas moins de 70 ordonnances « Il ne faudrait pas ajouter la crise démocratique aux autres crises », s’inquiète Cécile Cukierman. D’autant qu’une autre pomme de discorde témoigne de la volonté du gouvernement de passer en force : celle des ordonnances.
Le texte n’en prévoit pas moins de 70, notamment en matière de droit du travail.« Le gouvernement préfère prendre ses décisions tout seul, regrette Philippe Bas. Et veut aussi, en matière économique, sociale, de justice, prendre par un trait de plume des décisions par ordonnance. » Les sénateurs avaient réduit leur nombre à 30 : là encore, leurs modifications sont retoquées.« Nous ne voulons pas vous laisser les pleins pouvoirs ! » a tonné le sénateur. Associer tous les acteurs démocratiques concourt pourtant à ce que la discussion enrichisse les textes, comme en témoigne Cécile Cukierman, qui prend l’exemple des petits commerces :« Leur fronde montre que s’entêter, et décider seul, ne marche pas dans ce pays quand les mesures ne sont pas débattues. Nous avons demandé un débat sur le sujet – et d’autres – il y a trois semaines, le premier ministre nous a opposé une fin de non-recevoir ». Guère étonnant alors que l’exécutif n’a même pas consulté la Commission nationale consultative des droits de l’homme, créée en 1947, à propos de l’état d’urgence sanitaire. Ni aujourd’hui, ni en mars. ■

par Benjamin König
mardi 3 novembre 2020